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La responsabilité pénale de l’employeur face au défi du déconfinement
Le déconfinement et la reprise de l’activité cristallisent des interrogations et des inquiétudes légitimes au sein de l’entreprise. Alors que les salariés, face au risque de contagion, réclament des garanties quant à leurs conditions de travail, l’employeur, sur lequel pèse l’obligation de garantir la santé et la sécurité au sein de sa structure, est tenu de prendre toutes les mesures essentielles pour y parvenir et craint de voir sa responsabilité pénale engagée à ce titre.
Dans ce contexte si particulier de la pandémie du Covid 19 et d’une reprise progressive de l’activité économique, le risque pénal apparaît prégnant si l’on recense, par exemple, les nombreuses plaintes dont la Presse s’est fait écho. Il demeure difficilement quantifiable au regard de l’incertitude qui pèse sur le traitement de ces plaintes par les magistrats et est accentué par le rythme inhérent à la procédure pénale, tant les décisions pénales à intervenir le seront dans un délai lointain.
Une demande d’évolution du régime de responsabilité pénale de l’employeur dans le contexte du Covid-19
La demande des organisations patronales au gouvernement de prendre des mesures en conséquence en est la démonstration criante et la réponse apportée peut leur paraitre décevante.
Ainsi, les organisations patronales ont demandé à la ministre du Travail, qu’elle prenne des mesures pour encadrer la responsabilité de l’employeur diligent face à un risque « dont nul ne peut prétendre avoir la maîtrise et dont les entreprises ne sont pas à l’origine »[1]. Percevant la menace pénale comme un frein certain à la reprise économique, les requérants précisaient qu’il ne s’agissait nullement d’une demande d’exonération de responsabilité mais était destinée à mettre « à l’abri, les chefs d’entreprise d’une obligation de résultats »[2] en ne sanctionnant que « les fautes intentionnelles ou commises par négligence ou par imprudence »[3].
Sensible à ces arguments, le Sénat a ouvert la voie en amendant le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire afin d’écarter temporairement la « faute caractérisée », et ce contre l’avis du gouvernement qui s’était opposé à « atténuer les responsabilités de qui que ce soit »[4]. Entre temps, le gouvernement a concédé vouloir clarifier le droit existant en incitant le juge à apprécier la responsabilité pénale du dirigeant au regard des connaissances scientifiques au moment des faits[5]. In fine, le nouvel article L.3136-2 du Code de la santé publique traitant de la question et adopté par la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire[6] ne modifie pas régime de la responsabilité pénale des employeurs. C’est d’ailleurs ce qu’a retenu le Conseil constitutionnel qui, saisi par les sénateurs de la constitutionnalité de l’article en question, énonce clairement que « les dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles du droit commun »[7].
Il convient donc d’envisager succinctement dans quelles conditions, la responsabilité pénale de l’employeur, personne morale et personne physique, peut être engagée dans ces circonstances, en l’absence de régime spécifique adopté en matière de Covid-19.
Au-delà des sanctions pénales encourues par l’employeur au titre des incriminations prévues spécifiquement par le code du travail[8], les infractions de droit commun susceptibles de trouver à s’appliquer dans ce contexte sont la mise en danger d’autrui, l’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, l’atteinte involontaire à la vie et la non-assistance à personne en danger.
La mise en danger d’autrui et l’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne
La mise en danger d’autrui[9] et l’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne[10] sont deux infractions voisines et partagent un élément constitutif commun en ce qu’elles exigent toutes deux la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
Outre la violation d’une obligation particulière de sécurité législative ou réglementaire, la mise en danger d’autrui doit également se constituer par une exposition directe d’autrui à un risque immédiat d’une extrême gravité, présentant un lien de causalité avec la violation et qui comporte un caractère manifestement délibéré. Les sanctions consécutives différent à de l’auteur de l’infraction. Outre des peines complémentaires propres à chacun, la personne physique encourt jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende et la personne morale risque jusqu’à 75 000 euros d’amende.
L’incrimination d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne[11] se distingue de celle de mise en danger d’autrui dans la mesure où sa caractérisation ne peut résulter d’une simple exposition à un risque immédiat mais d’une Incapacité Temporaire du Travail (ITT) inférieure ou égale à trois mois résultant de la violation d’une obligation particulière. Or, compte-tenu des effets connus à ce stade du Covid-19, il semble peu probable qu’une ITT supérieure à trois mois pourra être retenue.
Par ailleurs, d’un point de vue législatif ou réglementaire, outre la préconisation du respect de mesures barrières selon le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, il n’existe à ce jour aucune obligation particulière liée à l’épidémie du Covid-19. Seules des préconisations ministérielles apportent des précisions aux employeur dans l’appréciation de ces mesures barrières telles que les guides et fiches métiers produits par le Ministère du travail qui n’ont à ce stade pas de valeur légale ni réglementaire et ne sauraient fonder l’obligation particulière visée par le texte malgré leur « valeur normative » affichée par le Ministère du Travail.
Or, le droit pénal, par la gravité des sanctions qui le caractérise, est d’interprétation stricte. Par conséquent, au vu du caractère très général de l’obligation fixée par le décret du 23 mars 2020 mentionné ci-dessus, il serait discutable de voir sa violation entrainer l’engagement de la responsabilité pénale d’un employeur pour mise en danger d’autrui ou atteinte involontaire à la vie en dépit des plaintes dont la presse s’est fait écho déposées sur ces fondements.
L’atteinte involontaire à la vie
La responsabilité pénale de l’employeur serait également susceptible d’être engagée sur le fondement de l’atteinte involontaire à la vie. Par dérogation au principe fondamental du droit pénal selon lequel il n’y pas de délit ni de crime sans intention de le commettre, cette infraction obéit au régime des infractions involontaires de l’article 121-3 du Code pénal qui sanctionnent dans un certain nombre de cas déterminés non seulement les manquements fautifs mais également ceux qui, même de manière involontaire, ont eu pour conséquence directe ou indirecte de porter atteinte à la vie.
L’infraction est constituée par une violation d’une obligation de sécurité ou de prudence d’origine législative ou réglementaire ou de la commission d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité soit le décès d’un salarié en conséquence du comportement fautif de l’employeur. Les auteurs encourent, outre des peines complémentaires, jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les personnes physiques et jusqu’à 225 000 euros d’amende pour les personnes morales.
Il convient de préciser que les conditions d’engagement d’une telle responsabilité ne sont pas identiques selon la personne de l’employeur. Alors qu’une faute simple est susceptible de mettre en cause la responsabilité d’une personne morale, seule une faute caractérisée est susceptible d’engager la responsabilité d’une personne physique. Par ailleurs, cette notion laisse davantage de liberté d’appréciation au juge pénal qui en a défini les contours au gré la jurisprudence comme étant une faute ou une défaillance, dans une situation qui aurait nécessité une attention et des mesures accrues à raison de sa sensibilité ou des risques qu’elle comporte, commise par une personne qui ne pouvait ignorer la situation en cause.
A cet égard, il conviendra d’être particulièrement vigilant quant aux délégations de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité, dont il pourrait être prétendu qu’elles sont sans effet dans la mesure où la mise en place d’un dispositif barrière à l’épidémie repose majoritairement sur l’implication des instances dirigeantes. Il conviendra donc de vérifier la mise en place de ce type de délégations de pouvoirs en s’assurant notamment que le délégataire ait accepté la délégation et dispose bien de l'autorité, des moyens et des compétences nécessaires pour appliquer la règlementation entrant dans le champ de cette délégation.
Par ailleurs, à la différence de la mise en danger d’autrui à l’égard duquel le référentiel normatif applicable semble aujourd’hui trop général, l’obligation de prudence ou de sécurité législative ou réglementaire applicable à l’atteinte involontaire à la vie est appréciée avec davantage de souplesse par la jurisprudence à la lumière du texte d’incrimination qui requiert la violation d’une obligation sans qu’elle doive revêtir de caractère particulier.
Néanmoins, en dépit d’une analyse in concreto des éléments d’espèce, deux difficultés demeurent dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale de l’employeur au titre de cette infraction. Outre la preuve du caractère délibéré de la violation dont la démonstration sera difficile au regard des diligences mises en œuvre par les employeurs dans le contexte actuel, il sera également malaisé de prouver avec certitude le lien de causalité entre cette violation et le décès du salarié, à savoir la démonstration que le salarié aura bel et bien contracté la maladie sur son lieu de travail. Il conviendra donc d’être également vigilant sur un éventuel assouplissement de l’appréciation du lien de causalité en la matière dans les décisions à venir.
La non-assistance à personne en danger
Enfin, la responsabilité pénale de l’employeur serait également susceptible d’être recherchée sur le fondement de la non-assistance à personne en danger[12]. Cette infraction est constituée par la présence d’un péril, dont l’employeur aurait conscience et se serait abstenu d’assistance alors que celle-ci était possible. Outre les peines complémentaires, une personne physique pourrait encourir jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende tandis qu’une personne morale serait tenue jusqu’à 375 000 euros d’amende. La troisième condition du texte d’incrimination sera la plus débattue : comment caractériser cette abstention lorsque l’employeur aura pris toutes les dispositions possibles en l’état du matériel de protection disponible et de l’évolution constante des préconisations du gouvernement en la matière ?
La reprise de l’activité dans le cadre du déconfinement constitue donc un risque pénal supplémentaire pour l’employeur et, à ce titre, un nouveau défi. S’il lui appartiendra de mettre en œuvre au sein de son entreprise toutes les mesures d’hygiène et de sécurité régulièrement édictées en la matière en les documentant, rien ne permet pour autant de le prémunir totalement contre l’engagement de sa responsabilité pénale en cas de contamination de l’un de ses salariés.
[1] Courrier destiné à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, envoyé par les représentants de la CPME, de l’U2P et du Medef daté du 30 avril 2020.
[2] Déclaration du Président délégué du Medef, Patrick Martin, le 04 mai 2020.
[3] Communiqué de la CPME, de l’U2P et du Medef du 07 mai 2020.
[4] Allocution de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, du 04 mai 2020.
[5] Commission des lois de l’Assemblée Nationale, pour l’application des principes d’appréciation in concreto de la responsabilité pénale des délits non intentionnels et pour la responsabilité des personnes ayant violé de façon manifestement délibéré une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, « il est tenu compte de l’état des connaissances scientifique au moment des faits ».
[6] Loi n°2020-546 du 11 mai 2020 et publié au JORF n°0116 du 12 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
[7] Décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020.
[8] Article L.4741-1 du Code du travail.
[9] Article 223-1 du Code pénal.
[10] Article 222-20 du Code pénal.
[11] Préc.
[12] Art. 223-6 du Code pénal.